Comme à chaque élection présidentielle, au Tchad, les tirs d’armes automatiques ont déchiré la nuit de N’Djamena à l’annonce des résultats. Comme à chaque fois, le vainqueur proclamé s’appelle Déby. La commission électorale a annoncé dans la soirée du jeudi 9 mai que Mahamat Idriss Déby Itno a été élu dès le premier tour du scrutin avec 61 % des suffrages. A la mort de son père, en avril 2021, le général de 37 ans avait été désigné «président du Conseil militaire de transition» par une junte composée des sécurocrates du régime. Le voilà désormais, officiellement, président tout court.
Son Premier ministre, l’opposant Succès Masra, conteste les résultats. Le jeune leader du parti des Transformateurs, 40 ans lui aussi, s’est vu attribuer 18,5 % des voix par la commission électorale (avec un taux de participation annoncé de 75,9 %). Quelques heures avant la proclamation, il avait lui-même revendiqué la victoire dans un discours ampoulé diffusé en direct sur Facebook, accusant le camp du pouvoir de fraude massive. «Nous avons vaincu, grâce au peuple, qui nous a mis en tête dès le premier tour au regard des vérités des urnes centralisées, compilées à plus de 90 %, affirmait-il. Au moment où je vous parle, un petit nombre d’individus a décidé de refuser la volonté du plus grand nombre et veut inverser l’ordre des choses. Ces individus se trompent. Pas seulement sur le résultat des élections. Mais sur leur capacité à pouvoir la voler.»
L’opposant a appelé ses partisans à se mobiliser le lendemain, «en étant debout dans tout le Tchad, pacifiquement, dès 7 heures» : «Faites-le dans le calme et montrez votre nombre, vous qui voulez le changement et qui avez permis à ce changement d’être victorieux dans les urnes», a-t-il ajouté. Ce vendredi 10 mai, à la mi-journée, aucun rassemblement n’était signalé dans les rues de la capitale. Des blindés et des pick-up des forces de l’ordre étaient déployés autour du siège des Transformateurs. Les coups de feu tirés dans la nuit par les militaires et les partisans du régime étaient autant des manifestations de joie qu’un avertissement lancé à l’opposition.
Au Tchad, la menace n’est pas à prendre à la légère. Le 20 octobre 2022, une marche interdite des Transformateurs avait été réprimée dans le sang – la Commission nationale des droits de l’homme a recensé 128 morts, 12 disparus et 518 blessés pour ce jeudi noir. Succès Masra avait alors fui le pays. Son retour, en novembre dernier, avait été considéré avec méfiance par l’opposition : en acceptant le poste de Premier ministre, Masra n’avait-il pas été «acheté» par le président Déby, comme d’autres avant lui ? Sa campagne, offensive, et sa contestation publique des résultats, prouvent au contraire qu’il ne compte pas transiger. Son discours de jeudi soir le place définitivement en rupture avec le régime. Et donc, potentiellement, en danger.
Le 28 février, un autre opposant, Yaya Dillo, cousin du chef de l’Etat, avait été tué d’une balle dans la tête lors de l’assaut du siège de son parti par l’armée. La gestion du cas Masra, et de la contestation des résultats, sera le premier défi du président élu Mahamat Idriss Déby. Une réponse brutale entacherait les premiers jours de son mandat légal. En attendant, la communauté internationale reste pour l’instant silencieuse. La France, qui avait tacitement accompagné la transition, hors de tout cadre constitutionnel, au nom de la stabilité du Tchad, n’a pas réagi pour le moment.
Sources : Libération