Étant économiste des ressources naturelles et de l’environnement, spécialisé en ressources maritimes et environnement marin, mon avis à l’égard de toute activité économique doit être cohérent avec le principe de base de l’économie des ressources naturelles et de l’environnement.
Ce principe est le suivant :
Toute activité économique basée sur l’usage des ressources naturelles et de l’environnement doit viser la maximisation du bénéfice que la Société dans son ensemble tire de cette activité. On parle de maximisation du BÉNÉFICE SOCIAL NET qui est la somme des bénéfices pour les ENTREPRISES PRIVÉES et pour le CONTRIBUABLE SÉNÉGALAIS. Le bénéfice social n’est pas que financier et ne doit pas tenir compte uniquement des biens ou services marchands, ni uniquement des contribuables d’aujourd’hui (générations actuelles). Il doit tenir compte aussi et surtout des valeurs non marchandes des ressources et de l’environnement considérés (valeurs écologiques, sociales, culturelles, cultuelles),mais aussi et surtout des contribuables de demain (générations futures). On parle de BÉNÉFICIE SOCIAL NET ACTUALISÉ.Je ne peux donc pas être CONTRE ou POUR une activité économique s’il n’est pas démontré que le bénéficie social net actualisé que génèrera cette activité sera négatif ou positif.Habituellement, cette démonstration se fait via une étude d’impact environnemental et social (EIES) telle que prévue par notre code de l’environnement. L’EIES doit comprendre une ANALYSE COUTS-BÉNÉFICES pour la Société.Je ne sais pas si les activités d’exploitation de nos différents gisements pétroliers et gaziers ont fait l’objet d’EIES.
Ce qui est clair, c’est que tôt ou tard, le Sénégal devra faire face aux impacts négatifs de l’exploitation pétrolière dont les plus dramatiques notamment dans le cas d’exploitations offshore, sont les pollutions marines accidentelles ou marées noires. Une marée noire peut ruiner tout le système économique d’une région.
Je crois à la théorie des accidents normaux de Charles Perrow (Normal Accidents: Living with High-Risk Technologies – 1984). Je suis donc convaincu que tôt ou tard, le Sénégal devra faire face à des marées noires (ce n’est pas du pessimisme mais du réalisme). Prenons l’exemple du gisement Sangomar Offshore localisé au large de Sangomar. Celles et ceux qui connaissent le Delta du Saloum ont une idée de l’importance écologique, économique, sociale, culturelle et cultuelle de l’Ile de Sangomar et, d’une manière générale, de la Réserve de Biosphère du Delta du Saloum (RBDS). Rien qu’au regard des fonctions écologiques de la RBDS, une marée noire à Sangomar serait une catastrophe pour le Sénégal, la Gambie, la Guinée Bissau et la Mauritanie. Est-ce que ces risques ont été pris en compte, leurs impacts à court, moyen et long termes évalués et des mesures de mitigation prévues? Est-ce que nous avons les capacités institutionnelles et organisationnelles pour poursuivre et faire condamner d’éventuels responsables de marée noire au Sénégal et de se faire indemniser? C’est d’ailleurs pour cette raison que je propose la création d’une cour de justice spécialisée dans ce domaine et qui saura faire face aux avocats des grandes puissances pétrolières. Prenons l’exemple de la marée noire du golfe du Mexique. En 2010, le cout de cette marée noire était évalué à 350 M $US, cinq ans plus tard (octobre 2015), on parlait d’un cout de 56 milliards de $US (34 224 milliards de FCFA) pour BP. Quel serait le cout d’une marée noire au Sénégal?
Auteur : Omar Sarr – Ph. D. Économiste des ressources marines et de l’environnement marin