75 ans après, il ne se passe pas un jour sans qu’Odette Pichard ne pense à son fils Pierre-Alain. Le bébé est mort le 12 mai 1949 dans une maternité parisienne, quatre heures seulement après sa naissance. « Qu’est-ce qui est arrivé? Je ne sais pas », témoigne cette femme de 99 ans depuis son Ehpad d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine).
Aujourd’hui, Odette Pichard et sa petite-fille avocate cherchent à faire reconnaître l’existence de cet enfant devant la justice, puisque Pierre-Alain n’a jamais figuré sur leur livret de famille.
« Ça fait 75 ans que je regrette et mon regret sera toujours là », poursuit-elle, émue aux larmes. « C’est pour ça que je souhaiterais que son nom soit marqué dans le livret de famille: pour prouver que cet enfant a vécu. Il a quand même vécu quatre heures. »
« Une époque où on ne posait pas de questions »
Odette Pichard se souvient d’un bébé blond de 3,1kg, né dans une clinique du Marais après un accouchement « difficile » aux forceps, sans la présence de son mari Roger. « J’ai eu la chance de le voir, moi: il a crié et puis on l’a emmené tout de suite », se remémore-t-elle. « On ne me l’a pas mis sur le ventre, ça ne se faisait pas à l’époque mais je l’ai vu bouger! Après je ne l’ai pas revu. »
« Quand j’ai appelé quelques heures plus tard, un docteur est venu dans ma chambre me dire qu’il était décédé », poursuit-elle. Sans davantage d’explications, si ce n’est que son bassin était « limite » et qu’il aurait été préférable d’avoir recours à une césarienne. « Je n’ai pas posé de questions, c’était une époque où on ne posait pas de questions », raconte Odette Pichard, encore éprouvée.
« À l’époque on disait ‘c’est la vie' », résume-t-elle. « On acceptait tout et on disait ‘c’est la fatalité’. Moi j’avais 24 ans, je n’ai rien compris. Dans mon entourage jamais je n’avais entendu qu’un bébé pouvait mourir à la naissance. »
En attente d’une reconnaissance « symbolique »
Deux jours plus tard, lorsque son mari veut déclarer l’enfant à l’état civil, il indique que Pierre-Alain est mort né. La naissance du bébé n’est donc pas officiellement déclarée, malgré l’existence de deux documents signés de la main du médecin de cette clinique parisienne – qui n’existe plus aujourd’hui – attestant que le nourrisson a bien vécu quatre heures.
Plus de sept décennies plus tard, Odette Pichard a déposé une requête après du tribunal judiciaire de Paris dans l’espoir de faire enfin inscrire le nom de Pierre-Alain sur son livret de famille. C’est sa petite-fille avocate en droit de la famille, Me Aude Denarnaud qui la représente dans ce dossier, dont elle connaîtra l’issue ce mercredi 6 mars.
« Ce serait symbolique pour moi qu’on reconnaisse que cet enfant a quand même fait partie de notre famille », explique la nonagénaire. « C’était notre fils. On l’a fait vivre, on en a parlé beaucoup. »
La Francilienne regrette aussi de ne pas savoir ce qu’il est advenu du corps de son fils. À l’époque, lorsque le médecin lui demande ce qu’elle souhaite faire, Odette Pichard est prise de panique. « Sous le choc j’ai dit une bêtise: j’ai dit que je n’avais pas d’argent » pour financer des obsèques, se remémore-t-elle. « C’est vrai qu’avec mon mari on démarrait, on n’avait pas un rond. »
« On ne fait jamais le deuil »
Longtemps, elle a gardé le silence sur le sujet, assaillie par « un sentiment de honte ». Dans la famille, tout le monde était persuadé que Pierre-Alain avait été enterré dans le caveau familial où son prénom a été gravé. Même ses filles Françoise et Geneviève ignoraient que le corps de l’enfant n’était pas là. Odette Pichard n’a fini par se confier à ses proches que récemment, au réveil d’une lourde opération cardiaque.
« Ma grand-mère s’en veut énormément, tellement que nous n’avons appris ce détail que l’année dernière », appuie Me Aude Denarnaud, avocate spécialisée dans le droit de la famille à Carcassonne (Aude). « C’est moi qui lui ai appris qu’il y avait un recours juridique possible, alors j’espère vraiment qu’aujourd’hui la justice aille dans son sens. »
Plus de 70 ans après, Odette Pichard souhaite obtenir cette reconnaissance de la justice, elle qui est loin d’avoir oublié son « petit bonhomme parti sans câlin ni baiser ». « On dit: ‘le deuil, le deuil’. Mais on ne fait jamais le deuil, c’est pas vrai », confie-t-elle. « On le vit mieux, heureusement, mais on ne fait pas réellement le deuil d’un enfant. »
Source : BFM